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Ses bagages étaient prêts ….

Ses bagages étaient prêts, un long voyage l’attendait. Un voyage de silence. Un voyage de cinq ans. Deux ans déjà qu’elle était enfermée dans son mutisme. Sept années pythagoriciennes. Apprendre à écouter.

Elle sortait de chez elle au moment où RÂ était en transit se préparant à monter sur le pont de Mândjyt, la barque diurne. Il s’apprêtait à revêtir sa cape de lumière étincelante. Aurore aux doigts de rose finissait de décrocher les étoiles, seule restait la Vénus du matin. Naissante à la porte de l’Occident. Voilée par une rosée brumeuse, elle ressemblait à la lumière diaphane du tableau d’Edwin Church « L’Etoile à l’Est ».

Devant elle, deux chemins s’unissaient. L’un descendant, l’autre ascendant. Sur le passage de droite montant vers elle, « le Fou » du village tout sourire arpentait la route, poursuivi par les « bien-pensants » qui le chassaient, les enfants ignares qui le moquaient et les chiens qui l’agressaient. Pourtant, il n’utilisait même pas son bâton pour se défendre et continuait sans que rien ne semble le toucher. « Quel détachement ! Quelle liberté ! », pensa-t-elle, admirative.

Mais sa propre voie, elle le savait, était une quête qui l’emmènerait d’abord dans les plis profonds de la Terre. Elle se tourna vers la gauche et descendit.

Sur le côté, un vieux paysan surveillait un champ qui finissait de brûler. Intérieurement, il souriait.

Pendant son trajet, elle continuait son apprentissage. Pour comprendre, il lui fallait entendre. Ouïe. Premier sens travaillé. Le seul à ne pas être filtré par le cerveau. Tout son est perçu de manière directe. Pavillon, comme une entrée. Oreille moyenne, petit hérault solaire homonyme, « coquelée ». Oreille interne, porte d’accès. Les sons de la Nature la réveillaient. Ils l’éveillaient.

Perdue dans sa contemplation intérieure, elle ferma les yeux, trébucha sur une pierre grossière et tomba dans une faille. La chute lui sembla une éternité. L’Adam Kadmon était tombé. L’Arbre de Vie était inversé. Elle perdit toute conscience d’elle-même.

C’est un froid sec pénétrant son corps qui la réveilla. Une fragrance originelle stimulait son odorat. Elle inhalait de sa narine droite et exhalait par la gauche ce fluide puissant. Prâna. Energie nutritive divine. Avec la plus grande prudence, elle scruta la substance sombre pour définir les contours de ce qui semblait être le boyau d’une mine abandonnée. Comme aveugle, dans cette cavité muette, elle progressait à tâtons jusqu’à un éboulement. Une terrible et inexplicable mélancolie l’assaillait. Réminiscence d’un temps passé. Elle était piégée dans la matière, séparée d’une partie d’elle-même, elle ne faisait plus qu’intellectualiser.

La sortie était obstruée par quatre grosses pierres. Un mince rai de lumière traversait un interstice et venait frapper un vieux miroir abandonné. A ses pieds, un ophidien aveugle serpentait sur deux outils oubliés. Chacun était frappé du blason de son propriétaire. De canton d’or en abîme sur sable plain. Muladhara. Point de départ de la Sushumna, canal central énergétique du corps humain.

Elle empoigna le ciseau de sa main gauche, passivité et précision, puis le maillet de sa main droite, activité et volonté. Elle frappa trois coups sur l’une des pierres, la séparant du quaternaire. Le cube de plomb se descella. 4-1. Elle spiritualisait la matière. Elle se libérait.

Le trou était désormais assez grand pour s’y faufiler. C’est, couverte de terre qu’elle s’extirpa, délaissant la statue noircie d’un vieillard à la bouche ensanglantée. A ses pieds, une lanterne séculaire s’illumina.

Dans le ciel, l’étoile avait bougé.

Un petit sentier escarpé l’amena plus haut. L’air était toujours aussi froid, mais plus humide. Goutte à goutte, une myriade de stalactites millénaires avait creusé deux larges bassins d’eau pure d’où le liquide s’écoulait de l’un à l’autre. Tempérance. Elle s’immergea et but quelques gorgées. Un goût étrange de cuivre ressortait de ce liquide de vie, purifiant son corps et régénérant ses organes. Mundus. Sous son ombilic apparut un icosaèdre sinople augmenté d’une lune argentée. Swadisthana. Reviviscence cellulaire. Telle « La naissance de Vénus » de Botticelli, c’est nue qu’elle sortit des eaux souterraines. Raide, elle se déplaçait point par point. Ses jambes rigides tendues ressemblaient à un compas actif traçant des repères dans l’espace circulaire de la fosse. Avec une grande lenteur, lymphatiquement, elle marcha vers une stalagmite étrangement rectiligne haute de 24 pouces. Sa peau laiteuse reflétait le tracé sextuple de sa règle de pierre. Découverte réfléchie de la vérité. Intellect et spirituel coexistaient. Dans une alvéole, un sceau de Salomon se mit à étinceler lui dévoilant une concavité libre où elle pouvait passer. Ses atours s ‘étaient humidifiés. En argile, la terre s’était muée.

L’étoile, à mi-parcours, gagna en éclat.

Dans la troisième cavité, l’air chaud était saturé d’humidité. Sa peau ressentait la plus infime, la plus subtile variation de l’air ambiant. Ses capacités tactiles étaient décuplées.

Des encensoirs octaédriques fumant étaient alignés. Huit. Un neuvième gisait sur le sol et fermait une porte à triples ventaux. Sur son flanc était gravée une étoile dorée à six pointes sur un fond bleu indigo. Anahatta. Plexus cardiaque. Siège de la conscience subtile.

Elle prit le temps d’examiner les lieux. La pièce avait la forme d’un carré long. Un vieux temple abandonné. Un géant de pierre trônait contre un mur, dans sa main droite à la place du glaive, symbole de force, un foudre d’étain. Zeus-Jupiter. Elle décida de le desceller. Parée de cet éclair métallique, elle utilisa toute sa puissance pour faire levier et  relever le neuvième élément. Mais il lui avait manqué de la précision dans l’exécution. L’ensemble manquait de rectitude et elle avait failli le briser. La force sans la maîtrise peut être destructrice! Elle pacifia donc son caractère sanguin et réfléchit. Quoi de mieux qu’un outil rectiligne pour aligner. Elle fut bien inspirée.

Elle déposa sa règle de pierre vingt-quatre fois striée et avec une nouvelle action de levier, mesurée, rectifia ce qui devait. Les énergies descendantes et ascendantes avaient coopéré. Un cliquetis retentit. Les trois panneaux glissèrent. Les neuf constituants de l’être étaient harmonisés. Un vent léger traversa l’argile qu’elle avait accumulée. Un souffle de vie nouveau la nourrissait. La dernière stèle redressée rayonna de façon spontanée.

L’étoile commençait sa troisième boucle.

            La dernière pièce qu’elle découvrit était une forge. Une chaleur sèche s’échappait de braises ardentes triangulaires rouge-orangé. Manipura. Centre de la vitalité. Lieu de transformation des énergies. Vésicule biliaire et reins enflammés. Sur une enclume, un sautoir récemment terminé. Deux plateaux équilibrés sur un bâti ciselé. Justice.  Au centre de chacun des bassinets, un tétraèdre de fer était soudé. Au-dessus de l’âtre, irradiait une sphère rouge, pareille à Mars. Oui, c’est bien à un feu divin qu’elle séchait l’argile grossière accumulée. Purus. Sa vue s’adapta, s’éclaircit. Aucune ouverture en particulier, mais un mur différent. Neuf blocs numérotés y étaient empilés.

L’énigme posée était impénétrable, sa colère montait, elle ne pouvait plus penser. Bile jaune incontrôlée. C’est donc intuitivement qu’elle entamait l’empilement des pierres gravées. Neuf, c’est trois fois trois. Avec zèle et application, elle s’employa à l’élévation de l’édifice. Les nombres défilaient sur la porte de ce coffre occulte. Elle était comme en transe, guidée par un maître secret, une force « protectrice mystérieuse ». Simultanément, son intelligence s’élevait. Quinze était la clef. Une fois l’ensemble ordonné, elle aligna les trois premières pierres le long de sa règle et c’est avec l’équerre qu’elle les posa en verticalité.

Elle avait su équilibrer toutes les forces réceptives et intuitives, seul moyen de comprendre, d’intérioriser, de vivre pleinement l’expérience et de s’harmoniser. Evoluait en droite ligne de façon mesurée. Les eaux ignées d’en haut avaient rejoint les eaux souterraines d’en bas. Par le Feu occulte, elles avaient fusionné.

Le pan glissa. Franchissant le dernier passage, elle sortit. Au centre du carré, trois outils rayonnaient de nouveau. Une discrète bougie verte s’enflammait.

Dans le ciel, l’étoile entamait son dernier trajet. Sa mémoire lui revenait.

L’encensoir, le cœur sinople et les outils en syzygie avaient été dynamisés et alignés. Le Naos était activé. Quinze astres en tout rayonnés, les constellations étaient tracées. Le temple intérieur, dans toutes ses parties, incarnait à présent le ciel étoilé.

Sans plus rien dans les mains, un nouveau vêtement purifié, elle arriva au village. Empruntant la rue centrale, elle s’attarda sur les enseignes des boutiquiers. Elle remarqua, tout d’abord, celle du Trésorier : un globe terrestre, matière et densité. Juste en face, parfaitement aligné, l’élémosinaire s’activait. Au-dessus de sa tête trônait un orbe céleste. Esprit et subtilité.

Le crépuscule pointait. Le champ du paysan était à nouveau vert et revigoré. « Igne Natura Renovatur Integra » : La Nature est entièrement renouvelée par le Feu.

De retour à son point initial, elle retrouva enfin sa maisonnée. Elle avait recouvré la conscience d’elle-même. L’étoile tracée en proportion dorée, le silence pouvait cesser. La Vénus du soir, à travers la porte de l’Ouest, au milieu de l’Orient, palpitait dans le ciel nocturne. Trois l’avaient dirigée. Désormais, cinq l’éclairaient et la rendaient juste. L’Arbre de Vie se redressait.

Sur le fronton mercure de son habitat, un symbole éthéré ; une sphère bleu-argenté. Vishudda. Chakra de la gorge, influence des sons. Centre de la clairaudience. Ouïe et parole sont des Dioscures consubstantiels. Leur maîtrise est l’aboutissement, la quintessence de l’homme réalisé.

Elle fut surprise de trouver le vieux paysan installé entre les deux piliers, rouge et blanc, encadrant sa porte :

  • « Que fais-tu là – vieil homme? ».

Dans ses yeux de vif-argent, des dodécaèdres s’animaient.

  • « Je t’attendais. Et maintenant que tu es de retour en  ton logis,  je peux  partir et Tré-passer. Mais avant cela, pour vérifier tes facultés à discerner, aimer et pratiquer en toute conscience, le Vrai, le Juste, l’Equitable, j’aurai une question à te poser. Dis-moi, noble Dame, connais-tu ton nom ? »
  • « Je suis Inanna-Ishtar, la Reine des étoiles. Déesse des conflits armés  lorsque je suis guerrière, ou de la Vie quand je suis en paix. Je suis Hestia, la gardienne du foyer, Rinda la Dame de la Demeure. Je suis l’Âme de l’Homme de toute éternité ! »

Alors, sans un mot de plus, son pied droit en avant, elle franchit le seuil.

La route n’était pas terminée. Inanna-Ishtar devait retrouver son époux, l’Esprit. Et pour cela, se rendre jusqu’en Enfer. Il lui fallait posséder les sept « ME ». Les sept pouvoirs associés. Mais pour l’heure, sa parure n’était pas complète. Deux lui faisaient encore défaut.

Au milieu de sa pièce unique, à même le sol, un mandala d’or en forme de spirale, en forme de G. Un sixième sens l’inspirait, quelqu’un lui chuchotait. Suivre le tracé jusqu’à l’abîme et puis remonter pour enfin rayonner. Sa main droite sur le cœur, comme pour garder l’énergie céleste qui la revivifiait, elle se coucha, pleine d’espoir, au centre de la figure sacrée. Une mélopée antique la submergea. Comme en écho, un cri suraigu se fit entendre. Au plus haut d’un pic rocheux, perdu dans les nuées, entre ciel et terre, s’envola un épervier…

Connaître ce n’est pas seulement savoir ce qui est, c’est appréhender ce qui vaut !

Ainsi, la Gnose, comme l’Alchimie, est une quête. Pour le Franc-maçon sincère, c’est une voie vagabonde qui se vit en pleine lumière, en toutes énergies équilibrées. Rabelais déjà nous l’enseignait dans son Pantagruel : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme [1]».

Pour parvenir à la Connaissance véritable, l’âme doit expérimenter différents états jusqu’à ce que l’intellect matériel fusionne avec l’intuition spirituelle pour espérer voir naître l’Occultum Lapidem, la pierre occulte du V.I.T.R.I.O.L. et la faire rayonner dans le cœur même de l’homme, pour le bien commun de l’humanité. Mais pour cela, il nous faut être guidé. Notre rituel de réception nous l’énonce clairement : « sans nulle intervention providentielle, sans quelque mystérieuse prédestination, il y a peu de chance pour que l’âme humaine, enténébrée, retrouve le chemin de sa Liberté première ». Alors, mes sœurs et mes frères, continuons d’écouter les pierres murmurer et les arbres chuchoter !

Aladin, le voleur à l’âme pure, cherchait un trésor enfoui au tréfonds de la Terre. Il y trouva le plus magnifique de tous. Un dormeur prisonnier d’une lampe qu’il devait faire reluire. « Relucere » : faire scintiller, faire briller en réfléchissant la lumière. Ce rêveur qu’il fallait éveiller était un Génie. Un Djinn. Un Esprit. Le sien. Celui qu’il délivrerait in fine pour vivre en toute liberté.

L’initié est un barde qui conte les transmutations de la vie, la propagation de la Lumière des sages, la réalisation du Grand Œuvre. Il la chante accompagné par une musique céleste, par la mélodie des étoiles orchestrée par ses aînés…

J’ai dit.

F :. Marc

 

[1] Lettre de Gargantua à PantagruelPantagruel – 1532 – Livre II, chap. VIII

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