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Le miroir du compagnon.

Jacques Lacarrière écrivait : « L’homme est un miroir où l’on peut découvrir l’image réduite et condensée du ciel, un univers vivant portant en lui, en son corps et en sa psyché, des feux et des plages obscures, des zones d’ombre et de lumière[1] ».

A l’heure où s’éteint la vie des sens, l’homme capable de maintenir sa conscience développe la clairvoyance astrale : le rêve éveillé…

Sur fond de « mille-fleurs », une gente dame sise entre majesté et pureté, son miroir dans la main droite me questionnait : « Qui, du reflet ou de l’original, réfléchit le plus ? »

Je me saisis du cristal étamé et me rappelait la propriété de chiralité. Forme opposée non confondue, mais substance distincte. L’illusion était parfaite…

L’ounher antique s’élargit alors et se liquéfia. Absorbé par ce « brouillard de vif-argent[2] », je passais de l’autre côté suivant le cône de mon œil gauche. Des tintes bleutées tout autour. Vision globale sans déplacement, énergie si familière. Bas-astral. Royaume des esprits élémentaires. Purgatoire ou Kanaloka orientale.

Le soleil se levait et je me souvins des paroles de Dante, lui aussi spectateur de cet instant magique, face au levant. Admirer les rais de l’astre du jour me férir à senestre.

Je ressentais du plus profond de mon être toute la magnificence des lieux. Empathie. Qualité humaine reine où même les neurones stimulées sont « miroir ».

Poches d’entités, métamorphoses multiples, je me déplaçais par la pensée et suivait mon Ka vers un amalgame alvéolé semblable à des grappes bleutées de muscari.

Je traversais une fissure. Il m’entraînait à travers une Egypte céleste, vers une bâtisse ancestrale. Le temple de Dendérah. A l’orée, partout des épis de blé ; à l’entrée deux gardes, Compagnons d’Horus, « Âmes de Pé et de Nekhen [3] », me dévisageaient et me sondaient.

La puissante Hathor, dame de la turquoise, avait revêtu le masque bleu de la neutralité.

Sans bien comprendre comment, j’entrais. Pièces sans nombre, portes ouvertes ou codées, inexistantes ou porches arc-boutés. Partout, j’éclairais de mon passage, les moindres recoins, les plus infimes interstices à la recherche du « doppelgänger[4] ».

Autant d’étages, autant de lieux éclectiques, tout me parlait, me remémorait, m’avertissait.

Dans une salle ovale, trois loupes alignées juchées chacune sur un bâton ciselé. Semblables aux bourdons employés dans la salle de la maquette. Je regardais au travers et perçus, par l’homothétie créée, une lueur fuligineuse : l’invisible présence de mes traits.

A ce moment précis, le voile tomba et mon double apparut. Le combat s’ébaucha en un duel fratricide. Castor et Pollux face-à-face se jaugeant et s’empoignant. L’hydromancie, par la Mer Astrale, me traçait les grandes lignes de la voie céleste des shemsou antiques. « Demi-dieux instructeurs de l’Ouest, portant la balafre profonde des gens du pays de Pount[5] ».  Sagesse. L’image énantiomorphe ne devait pas être pourchassée et détruite, mais acceptée et domestiquée à l’avantage du bien commun.

Au cœur du zodiaque, par la magie des couleurs, Hathor avait revêtu son double masque : Sekhmet rouge et Bâstet vert. Sang et sève.

Mon image avait muté. Désormais cobra de jade, elle s’était lovée autour de mon corps et me coiffait. Véritable armure d’Æther au symbole des Pérates premiers. Devant moi un vieux théranthrope sans âge, mi-homme mi-loup, me montrait le chemin et pointait l’entrée d’un escalier. C’est sans lumière que je passais le seuil, m’abandonnant aux ténèbres de cette empreinte de nautile.  Une impression diffuse d’être avalé par quelque ophidien géant au corps d’onyx.

Cellule après cellule, je découvrais les angoisses enfouies, les désirs inavoués, les espoirs perdus. Monstres terrifiants, situations critiques, tout devait être rectifié, pacifié, illuminé.

Dans une alcôve, des murs couverts de textes sapientiaux se métamorphosaient en diverses écritures antiques. Alphabet Watan, cunéiforme ou idéogrammes hiéroglyphiques. L’ensemble figurait un agencement hermétique. Je dépoussiérais un levier et par son action savante déplaçais les blocs sculptés pour révéler le sésame.

Je pris du recul, fis un pas de côté. L’anamorphose se révéla. Des lettres géantes formaient un ensemble cohérent et un mantra puissant : OM TAT SAT.

Plus loin, sept pierres cubiques à pointe bornaient le chemin. Les sept portes de la constellation des trois miroirs d’or ; images de « toutes choses qui se font ou se sont faites sous l’horizon, tant à distance qu’à proximité, de jour ou de nuit, en cachette ou en public[6] ». Les pyramidions colorés marquaient les dégradés du spectre lumineux et l’emplacement de mes centres énergétiques majeurs. Comme un avion atterrissant dans la nuit, je suivais la piste balisée jusqu’au lieu de transit.

Mon image-cobra n’était plus extérieure. Incorporée, elle suivait à présent le tracé de ma colonne depuis le Muladhara, chakra fondamental, et perçait à son apogée le cœur de la fleur à quatre-vingt-seize pétales. Osmose. Vision augmentée. Dorénavant, mon Ka, ce « double mystérieux de l’être vivant[7] » était le guide ; le levier en était la clef.

Au centre du sanctuaire, des signes zodiacaux pétrifiés se reflétaient dans un isherou lunaire. Je me figeais en voyant le félin monarque s’avancer et rugir pour donner vie aux sphères lumineuses de ce lac incandescent. Une nouvelle porte s’ouvrit alors. Rêve dans le rêve. Une paréidolie mystique mua mon cœur en volatil sacré. AB devint BA par la magie du palindrome d’éternité. Mon « âme-oiseau » s’envola rejoindre ses semblables dans le firmament céleste suivant la voie d’Amalthée, sous un regard léonin.

Un dernier couloir. L’air vivifiant qui s’y engouffrait, caressait mon visage comme une mère aimante apaise son enfant.

Au sortir du temple, au milieu de la route, un peuplier blanc, large et dense servait de passeur. Populus alba, arbre tutélaire, porte des deux mondes, croissant sur la rive du fleuve Mémoire et si cher à la nymphe Egéria. A ses pieds, une passerelle de corde jetée par-dessus les flots clairs d’un torrent qui coulait à rebours. Je saluais rituellement ce gardien sylvestre et passais le pont. Sur l’une des branches basses, un humble rameau pris forme et se joignit à l’entrelacs végétal. Décompte d’un passant subsidiaire.

Nout resplendissait. La déesse ruisselait de poussières d’étoiles, chacune pareille aux bétyles sacrées ; demeures terrestres des netherou, réceptacles des énergies divines.

Par deçà ma tête, le Thanaïs des anciens s’écoulait vers le pied gauche de « l’homme courant regarder par-dessus son épaule[8] », jusqu’à la géante Rigel.

Hathor au visage sombre avait pris possession de l’orbe terrestre, muée en vierge noire.

A mes pieds, une falaise escarpée, l’horizon à perte de vue. « La synarchie des Luminaires[9] » voguait sur des eaux stellaires. Les deux princes sacrés se miraient dans un lac de silence.

Les éléments avaient été dissociés puis séparément purifiés par l’eau et le feu, distillat et calcinat, avant que d’être à nouveau réunis. La spagyrie était désormais consommée ;    je plongeais…

Je retombais lourdement en moi. Engourdissement. Mes sens se réinitialisaient, se réalignaient sur les basses fréquences du monde hylique. Devant mon regard s’étendait la tapisserie. La noble dame, retournée à son mutisme, me souriait. Désormais unie à une syzygie colorée : un lion vert et une licorne pourpre…

J’ai dit,

Frère Marc

 


[1] Jacques Lacarrière, Les gnostiques, Albin Michel 1994, 18-19

[2] Lewis Carroll, Tout Alice, De l’autre côté du miroir, traduction Henri Parisot, GF-Flammarion 1979, 217

[3] René Lachaud, Un dieu dirige le vol des oiseaux, La Pierre Philosophale 2013, 158

[4] Jean-Louis Bernard, La science occulte égyptienne, Henri Veyrier 1987, 11

[5] Robert Charroux, Le livre du mystérieux inconnu, Robert Laffont 1969, 202

[6] Paracelse, Les sept livres de L’Archidoxe Magique, traduction du Docteur Marc Haven, Editions Bussière 1983, 71

[7] ENEL, Trilogie de la Rota ou Roue Céleste, Dervy-Livres 1983, 190

[8] Jean-Louis Bernard, Mystères égyptiens, Guy Trédaniel Editeur, 1994, 82

[9] Grégoire Kolpaktchy, Livre des morts des anciens égyptiens, J’AI LU, Aventure Secrète, 2009, 47

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