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Qu’est-ce donc que ce tétragone présenté à l’Apprenti maçon désireux de rejoindre les Compagnons ?

Il s’agit d’un carré magique dit normal, c’est-à-dire constitué de tous les nombres entiers de 1 à 32, soit 9. Le 3 étant l’ordre du carré. On le nomme donc : carré magique d’ordre 3. La valeur des sommes de chaque ligne, colonne et diagonale devant être identique, en l’occurrence 15. En mathématiques, ce dernier nombre est appelé constante magique.

Il existe huit carrés d’ordre 3 possibles. Ils sont obtenus par rotation ou symétrie des nombres.

Celui qui nous intéresse ce soir particulièrement possède en première ligne les nombres 4-9-2, en ligne centrale les nombres 3-5-7, nos nombres mystérieux, et en dernière ligne, en bas, les nombres 8-1-6.

L’Apprenti, va rencontrer lors de son quatrième voyage ce carré sur le plateau du Second Surveillant. Epreuve lors de laquelle, il lui sera d’ailleurs demandé d’en reconstituer la porte symbolique, sous la forme de neuf cubes empilés numérotés. Le réagencement du carré de Saturne, se réalise à l’aide d’outils : la règle et l’équerre. Il s’agit là d’un réalignement, d’un rétablissement symbolique, apparemment, mais bien réel de ses potentientialités, et plus avant de tout son être, par la rectitude morale de l’équerre et sous l’égide du G.°.A.°.D.°.L.°.U.°. Etape préparatoire nécessaire au futur équilibre des forces réceptives et intuitives. Par la pratique agissante de ces deux instruments, il commence aussi à utiliser les deux axes, horizontal et vertical. Il se met en cohérence, en harmonie avec l’entrelacs de son grade.

Ce carré est directement attaché à un régent planétaire, Cronos – Saturne. Une errante de notre système solaire régis par le roi des titans, fils de Gaïa – la Terre et de son père, l’Æther grec. Cette filiation d’ailleurs n’est en rien innocente, puisque c’est à ce grade qu’il est montré au Compagnon les sphères terrestres et célestes, comme l’invite à une prise de conscience élargie.

Pour Virgile, Saturne est souverain des mers profondes[1]. Ce dieu ancestral régnait dans le Ciel lors de l’Age d’or des hommes, un temps de félicité. Les Saturnales sont les fêtes créées par Janus, dieu des commencements et gardien des portes. Ces commémorations débutaient à partir du 16 décembre et s’étalaient jusqu’au solstice d’hiver. De ce fait, il y a l’idée sous-jacente de continuité des cycles, chère à notre rite ; de début et de fin réunis, symbolique de l’Ouroboros.

Dans la mythologie antique, Cronos-Saturne épouse Rhéa sa sœur qui enfantera les futurs dieux et déesses de l’Olympe : Hestia, Déméter, Héra, Hadès et Poséidon. A la naissance de chacun d’eux, et pour éviter la malédiction du parricide, Cronos les avale « tout rond ». Le sixième et dernier né, Zeus, sauvé par un stratagème de sa mère le remplaçant dès l’accouchement par une pierre brute, reviendra quelques années plus tard pour combattre son père et libérer ses frères et sœurs du ventre de ce géniteur-infanticide. Voici un résumé très rapide de cet épisode mythologique. Mais quel rapport avec notre rite et nous-mêmes ?

Cette allégorie nous présente un Titan avalant des bébés à peine nés et les expulsant adultes. Saturne apparaît donc comme le Grand Transformateur des corps. Il personnifie l’athanor alchimique, le creuset dans lequel les éléments, par distillation et combustion, sont recomposés en une forme ordonnée et rationnelle. Il a les mêmes fonctions germinatives et nourricières que l’utérus féminin. Ses « hôtes » temporaires, se développant à partir de leur propre potentialité, mais aussi grâce à l’énergie même du réceptacle titanesque.

Le Saturne Hermétique est depuis la Renaissance, le protecteur des artistes et des penseurs. Il personnifie la « porte » par laquelle la matière est purifiée et élevée à une forme supérieure d’existence.

Dans la nuit saturnienne de samedi, le plomb mortifère se mêle à la faux à lame courbe androgyne.

Utiliser un symbole relié à Saturne, dans notre rite, est, selon moi, un moyen de nous relier à cette énergie extérieure de transformation. Etre initié sous l’égide de ce carré, c’est accepter la possibilité de métamorphose des corps due à l’errante et permettre ainsi la résurgence de notre énergie interne en toute conscience et l’accueil de l’énergie externe. La réelle revivification de l’être tout entier.

A ce stade pourtant, le futur Compagnon ne détient que le possible passage, mais il ne pourra commencer à « forger » la clef qu’en s’aidant de l’étude occulte du placement des outils : Equerre, Compas et Règle. Rappelons, que le maçon possède, déjà, inscrit dans son corps éthérique microcosmique, au cœur de sa main, dans son cœur mémoire, dans sa conscience, la marque des trois joyaux depuis sa cérémonie de réception. Ceux-ci sont inscrits aussi dans les annales dématérialisées du rite. Ne reste qu’au Compagnon de continuer son investigation pour pouvoir activer ce passe et se mettre en parfaite harmonie avec cette grande bibliothèque-mémoire imperceptible mais que l’initié authentique pressentira en traversant les divers degrés nécessaires. Toute transformation véritable est une décantation à un long terme.

L’étude du « Sceau ou Caractère de Saturne[2] », mis en lien avec l’entrelacs des trois outils et leurs représentations, semble être un bon début à la création de ce sésame énergétique propre au Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm.

Au XVIème siècle, Agrippa décrit sept carrés magiques dont celui de Saturne. Pour ses études, le savant se serait inspiré notamment d’un certain Jean Pic de la Mirandole. Ce même théologien que nous retrouvons sur la liste des fondateurs de l’Hermétisme, à notre rite, présentée par le Trésorier au Compagnon. Agrippa semble s’être servi du carré dit de Luo Shu[3], dont le placement des nombres est le même que celui du carré de Saturne. Trois tracés viennent compléter son étude. Il s’agit, du Sceau ou Caractère de Saturne, du Signe de l’Intelligence de Saturne et enfin le Signe du Daïmon de Saturne. Pour lui, l’Intelligence représenterait le Bien et le Daïmon le Mal. Bien entendu ces notions, très en vogue dans la pensée des trois religions du livre sont pour nous, maçon de la Vieille Egypte, plus que relatives et tout au plus représentatives de deux faces d’une même pièce. Néanmoins, chaque tracé précis semble être une clef d’accès à une entité particulière. Agiel (ou parfois Ariel) pour l’Intelligence, Zazel (ou parfois Azazel) pour le Daïmon.

Mais concentrons-nous, spécialement, sur le Caractère. Regarder ce signe, nous rappelle immanquablement l’entrelacs de nos trois joyaux au centre du Naos, ainsi que sur le plateau du Vénérable (la Règle étant symbolisée par le Livre des Morts).

Au moment où l’Expert entrelace les outils, il trace le Caractère de Saturne dans le saint des saints, le Naos Cœur-de-la-loge. Ainsi fait, il ouvre une porte énergétique, plus ou moins haute en vibration selon le grade, avec cette clef physique chargée de l’énergie sacrée et subtile de la flamme éternelle. Si la clef est physique, la porte elle, est toute spirituelle.

Lorsque l’Expert annonce au Vénérable Maître : « Les trois joyaux rayonnent de nouveau au centre du Naos », il lui indique que le Caractère de Saturne est tracé et actif, que nous sommes désormais reliés à cette énergie cosmique particulière et que nous travaillerons sous l’égide du Roi des Titans, puisque nous y sommes désormais connectés.

Voilà aussi pourquoi, après l’acclamation, nous ne sommes effectivement plus « dans le monde profane[4] » et « que nos travaux reprennent force et vigueur ».

Ils sont à nouveau énergétiquement reliés par ce cordon ombilical entre notre loge et l’entité régente de Saturne. Ceci se passe en fonction de notre grade, selon nos capacités propres à accueillir ce flux énergétique. Nous voyons ici, qu’au-delà de la symbolique des entrelacs, il s’agit d’un véritable code de commande, d’ouverture, agissant comme un robinet qui délivre un écoulement variable. Il en va d’ailleurs de même pour l’évolution des maçons au sein de la loge, du Nord des Apprentis, le moins éclairé (le flux énergétique le plus faible) ; jusqu’à l’Orient du Vénérable Maître, l’Horus-Lumière (le flux énergétique le plus fort).

Agrippa a ajouté dans ses tables, des correspondances en caractères hébraïques, en stipulant que des « Noms divins » répondaient aux nombres de Saturne. En effet, le nombre et la lettre sont une seule et même chose. Il s’agit donc de reconstruire un nom ou une phrase générateur d’une force précise.

Un frère de notre obédience, passé à l’Orient Eternel, Jean-Claude Denis, nous en apprend plus sur l’entité attachée à ce Sceau. Il s’agirait de l’Archange Schabtiel, Archange majeur de Saturne et représentant le Grand Architecte De L’Univers. Selon lui, c’est à cette entité que le Serment de l’Apprenti est adressé sous l’égide du nombre 3. Par extension et selon le « nombre mystérieux » du Compagnon, c’est sans doute à une entité aussi, peut être la même, qu’est adressé le Serment du Compagnon mais cette fois sous la force et la vibration particulière du 5, compagnonnique.

Parmi les huit carrés magiques possibles, quatre attirent particulièrement notre attention. Ce sont traditionnellement ceux dits « élémentaires ». Ils sont définis comme suit :

492              276              618              834

357              951              753              159

816              438              294              672

FEU            AIR             EAU         TERRE

C’est en toute logique que le carré de Saturne inaugure cette série ; du plus subtil, l’élément Feu-volatil, au plus épais, celui de la Terre-matière. Il est aussi intéressant de voir que les éléments complémentaires, par exemple FEU et EAU, ont des carrés en parfaite écriture inversée. Le haut devient bas, le bas devient haut et la ligne centrale est conservée, mais tous les nombres sont en miroir. Miroir. Symbole des symboles, objet-outil de la besace du Compagnon. Son guide et juge infaillible lui permettant, chaque soir avant de se coucher, de voir le reflet de ses actions de la journée ; de faire le bilan de ses actes, de son labeur quotidien.

Se pourrait-il que les mondes, matériel et spirituel, soient eux-mêmes « en miroir » ? Que notre renversement optique soit l’indice d’une inversion plus occulte ? Cela expliquerait, peut être, l’expression selon laquelle le regard n’est que le reflet de l’âme ; que nous ne sommes nous-mêmes faits qu’à l’image de Dieu!

Nous avons vu que le nombre 15 est une composante essentielle du carré de Saturne. Ce nombre est en relation avec l’Arcane XV du Tarot, « Le Diable ». Sans s’attacher spécialement aux représentations judéo-chrétiennes, cette lame figure un théranthrope androgyne, être composite mi-homme, mi-bête et symbolisant les forces à l’œuvre dans le monde matériel primaire.

Assimilé, par certains, au Baphomet des chevaliers de l’Ordre du Temple, pour d’autres au dieu primordial d’Arcadie Pan, dieu de la Nature nourricière et de la fécondité. Cette entité ayant sous son contrôle deux êtres de sexes opposés. Cette métaphore est sans aucun doute la preuve de la maîtrise des sentiments et pulsions de l’être matériel, forces génératives.

Enel[5] a représenté par des expressions schématiques le Tarot ancien. C’est à la lame XX que l’on retrouve, en haut à droite, le symbole de Saturne et en bas à gauche, le Caractère de Saturne.  Un petit texte accompagne le tout et commence ainsi : « Tout bonheur terrestre est éphémère alors qu’il semble stable. L’élévation de l’esprit est un fruit que l’homme doit s’attacher à faire croître au cours de ses épreuves consécutives. Qu’il ne perde jamais espoir dans la douleur et qu’il s’attende à une épreuve au sein du bien-être… » Nous retrouvons ici les idées de problèmes quotidiens et d’illusions terrestres de notre rituel compagnonnique ainsi que celui de « fruit » de l’arbre de Constant Chevillon[6]. Enfin, même si bien d’autres symboles seraient intéressants à étudier, il apparaît particulièrement important de noter l’inscription au milieu et en haut « IGNIS VITAE », le Feu Vivifiant, le Feu de la Vie. Un Feu occulte qui fait renaître de ses cendres…

Rappelons aussi que le 15 symbolise le triple pentagramme. L’étincelle divine, énergie conscience humaine, enfermée dans le pentagramme noir inversé, la bête matérielle, le corps pulsionnel, qui se doit de vaincre l’instinct grossier pour que l’initié fasse rayonner le troisième pentagramme « réorienté » dans toute sa gloire. Tout cela se doit d’être réalisé, selon Oswald Wirth[7], par les opérations de coagula et solve. « Coagulation » de la Lumière Astrale, forces descendantes, et « solution » de l’énergie ascendante ; charge et décharge à la manière d’une pile.

C’est, selon moi, une injonction à se servir de l’énergie qui nous est donnée pour le bien commun général. La rétention corporelle de telles forces ne pouvant entraîner que désordres, blocages dans tous nos corps et par suite maladies du corps physique. Cette énergie ne nous est que confiée. Nous sommes pleinement responsable de son utilisation, en adéquation avec l’Un. Elle doit être « rendue » sous une forme ou une autre, à l’intérieur mais aussi et surtout à l’extérieur du Temple. Rappelons une fois de plus le rituel du deuxième degré : « Je ne suis régent de l’Univers {…} qu’en vertu de la mission qui m’a été confiée par le Grand Architecte, et à la condition que je puisse justifier de la compatibilité de mes actes avec la cohérence du Tout universel. »

Notre frère Robert Ambelain nous livre quant à lui une information primordiale. Selon un de ses ouvrages[8], c’est la lettre X, ou croix de Saint-André, qui « constitue la clé ésotérique du célèbre carré magique de neuf cases (trois sur trois), nommé par les Arabes carré de Badoûh’ et par les occidentaux le carré de Saturne. »

J’ai toujours considéré qu’une représentation symbolique « à plat » ne pouvait être qu’une vue partielle des choses car la Nature n’est pas ainsi !

Aussi, pour finir ce travail partiel, j’inviterai les frères et les sœurs désireux de pousser plus avant leurs recherches, à s’intéresser aux extensions du carré magique dans d’autres dimensions.

Si l’on étend notre réflexion à la troisième dimension, au cube, et plus avant encore à la dimension 4 aux hypercubes ou Tesseracts, alors de nouveaux mondes s’offrent à nous. Des mondes où le triple TAU de la croix devient sextuple ; où le carré magique normal mute en un cube parfait…

J’ai dit.

F :. Marc

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[1] Œuvres complètes de Virgile, Traductions M. Villenave, Bibliothèque Latine-Française, publiées par C. L. F. Panckoucke, 1834, L’Énéide, Livre V, 65

[2] Henri Corneille-Agrippa, La Philosophie Occulte ou La Magie, Tome 2 La Magie Céleste, Editions de la Clef d’Or, 85

[3] Nommé aussi « Diagramme des neuf palais », élément important du Feng shui, est daté du IIème siècle avant J.C.

[5] Enel, Trilogie de la Rota ou Roue Céleste, Dervy-Livres, mai 1983, 280

[6] « Prière » de Constant Chevillon.

[7] Oswald Wirth, Le Tarot des imagiers du Moyen-Age, Tchou Editeur, 3ème Trimestre 1975, 204-205

[8] Robert Ambelain, TEMPLIERS ET ROSE-CROIX, Documents pour servir à l’histoire de l’illuminisme, Editions Signatura, Traditions Initiatiques, mai 2010, Annexe 1, Additamentum,131

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